Graphistes, illustrateurs, rédacteurs... La secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Axelle Lemaire est arrivée à se mettre beaucoup de professionnels à dos.
Lundi dernier, lors de sa visite à la statup française Creads et d'après le communiqué de cette société, Axelle Lemaire a ressenti une "excellente énergie positive" et a déclaré : "Il est plus que nécessaire de lutter contre la morosité ambiante. Creads a un rôle d'exemplarité à jouer. Vous êtes la France qui gagne. Il faut le faire savoir !" Or l'entreprise Creads est simplement l'inverse : un modèle à fuir.
Une grande partie des activités de l'entreprise est basée sur le crowdsourcing, ou de perverted crowdsourcing, comme Graphiste.com, Wilogo, 99designs et bien d'autres.
Cette "agence de création participative" selon ses propres termes, met "en compétition" les créatifs pour réaliser un projet. Parmi les travaux fournis, le client en sélectionne un et rémunère via la société le créatif.
La liste des effets pervers de ce système est longue...
Q1 pour @creads et @axellelemaire : les 50000 créatifs dont vous vous flattez sont-ils déclarés ? Payent-ils tous des charges ?
— Diesa Eléonore (@EleonoreDMAb) 30 Mai 2014
Mais le plus manifeste effet négatif de ce système est que ceux qui ont travaillé et répondu au projet par une proposition concrète, ne sont pas rémunérés.
Le tweet de On Air Communication résume plutôt bien le principe :
@axellelemaire Commandez à 10 pâtissiers votre dessert et ne payez que le meilleur... C'est çà l'avenir de la France pour vous ? @creads
— On Air Communication (@onaircommunic) 30 Mai 2014
Depuis, Creads essaie de se défendre...
"Nous travaillons avec les créatifs de 3 manières différentes : projets ouverts à toute la communauté (30%), projets élites (30%) ou en direct (40%). Pour être plus précis ce sont les projets ouverts à tous qui font aujourd'hui débat. Pour ce type de projet, entre 20 et 50 créatifs choisissent de participer et un podium des 5 créations ayant reçues le plus de votes de la communauté sont rémunérées. Le créatif cédant ses droits ayant une rémunération plus importante."
Oui, cinq créations sont rémunérés. Voici un exemple de "rémunération" pour la création d'un logo :
L'Alliance francaise des designers aussi a réagi aux propos d'Axelle Lemaire et le président, François Caspar, a fait part de sa stupeur et de son incompréhension dans une lettre ouverte adressée à la secrétaire d'Etat :
"Le crowdsourcing est un outil fort respectable lorsqu'il s'agit de réunir des compétences dans un but non lucratif ou humanitaire, mais dès lors qu'il devient un modèle et une stratégie de développement économique, il établit une compétition inégale en ne rémunérant qu'un ou deux finalistes. Cela implique la demande d'avant-projets sommaires gratuits, au mépris des meilleures pratiques de notre profession.
(…) Encourager Creads revient à nier ce que le design peut créer comme valeurs pour tous. Cela fait froid dans le dos. C'est d'autant plus atterrant que les ministres Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti défendent tous deux la profession des designers comme porteuse d'avenir pour l'ensemble de notre société et encouragent les meilleures pratiques que nous défendons."
Devant autant d'évidences, nul doute que les propos d'Axelle Lemaire viennent avant tout d'un manque de connaissances et d'informations. Et malheureusement l'excellente énergie positive qu'elle évoquait dans les locaux de l'agence s'est dissipée...