Jean-Jacques Pauvert est décédé samedi dans un hôpital à Toulon, a annoncé l'une de ses filles, Camille Deforges, dont la mère, l'écrivaine et éditrice Régine Deforges, s'est éteinte en avril.
"Mon père était un très grand éditeur, un défenseur des libertés contre toute forme de censure, comme ma mère, ils étaient des êtres libres" a-t-elle déclaré.
La carrière d'éditeur de Jean-Jacques Pauvert fut tumultueuse, jalonnée de menaces de faillite, de procès pour outrage aux bonnes mœurs et de pressions de la censure.
Né en 1926 à Montmartre, Jean-Jacques Pauvert est un élève mauvais en tout sauf en rédaction. Il entre en 1942 chez Gallimard comme apprenti vendeur.
Agé d'à peine 21 ans et pour la première fois dans l'histoire des livres, il publie les œuvres complètes du marquis de Sade, aux Éditions du Palimugre sous son propre nom. Commencent alors de longues années de poursuites judiciaires.
Il est condamné en appel mais sans amende, ni d'obligation de destruction des ouvrages, en 1958. Le tribunal déclare que "Sade est un écrivain digne de ce nom", mais qu'il entre ″en conflit avec les exigences de la moralité publique". L'éditeur doit donc en restreindre la diffusion.
″Pour la première fois, l'existence d'une "littérature pour adultes" était officiellement reconnue par la magistrature″ écrit-il dans une édition de L'Affaire Sade de Maurice Garçon, qui retrace cette péripétie judiciaire.
Il confie au Monde en 2007 : "Pourtant, j'ai beau relire Sade, je ne sais toujours pas ce que c'est. Une œuvre extraordinaire comme il n'en existe nulle part ailleurs qu'en France. Rien à voir avec les libertins du XVIIIe."
En 1947, les Éditions du Palimugre se transforment en Éditions Jean-Jacques Pauvert, qui feront l'objet d'une vingtaine de procès. En 1999, elles deviendront une filiale de la maison Fayard, sans son fondateur.
En 1954, il publie l'iconique Histoire d'O, d'une mystérieuse Pauline Réage. Albert Camus lui répète: "Jamais une femme ne pourrait imaginer des choses pareilles !". Dans ses mémoires, il décrit le "silence assourdissant" qui accueillit à la sortie de ce livre qui sera reconnu plus tard comme un classique de la littérature érotique. Pauvert mettra vingt ans à écouler le tirage. On connait maintenant l'identité de l'auteur, Dominique Aury, qui fut la secrétaire générale de la distinguée Nouvelle Revue française (NRF).
″Je ne voulais publier que ce que les autres ne pouvaient ou n'osaient publier″ explique-il dans un entretien pour L'édition littéraire aujourd'hui de Olivier Bessard-Banquy de 2006.
En 1972, ce tumultueux parcours l'emmène jusqu'au Goncourt avec L'Épervier de Maheux, de Jean Carrière.
Il mène de front son métier d'éditeur et celui d'auteur, et sort une Anthologie historique des lectures érotiques, en cinq tomes de 1979 à 2001. Il rédige la biographie du Marquis de Sade en trois volumes.
Parallèlement, il lance de surprenantes maquettes de livres mettant un point d'honneur à ne pas sortir deux livres de suite sous la même couverture.
Jean-Jacques Pauvert a relancé la carrière de Boris Vian. Il a édité André Malraux, Marcel Aymé, André Gide, Raymond Queneau, Georges Bataille ou encore Françoise Sagan. Il fut aussi le dernier éditeur d'André Breton.
Nombre de personnalités saluent la mémoire de cet homme singulier. La ministre de la Culture et de la communication Fleur Pellerin, déclare dans un communiqué : "Au-delà de la réputation sulfureuse qu'il cultivait, il restera un grand professionnel de l'édition qui a su révéler des talents et sortir de l'ombre tout un pan de la littérature française. Nous perdons aujourd'hui un des symboles de cette génération d'après-guerre qui a transformé la société, et j'adresse mes condoléances à ses proches".
(Photo Facebook du compte Jean-Jacques Pauvert)