Elections législatives : défis et fierté professionnelle, le récit des imprimeurs

"Des conditions complètement ubuesques" à la mise en lumière du métier d'imprimeur, Grégoire Morault du Groupe des Imprimeries Morault, Philippe Vanheste du Groupe Prenant et Olivier Leborgne de Cloitre Imprimeurs dévoilent les coulisses de la livraison in extremis du matériel électoral de ces législatives imprévues.

Ouf ! Les imprimeurs peuvent souffler... Le matériel électoral de ces élections législatives a été livré en préfecture mardi 18 juin au soir. Cette course contre la montre, à laquelle pourtant les entreprises d'impression sont couramment soumises, était cette fois exceptionnelle.

Un cas de figure "inédit"

"Tout le monde a été pris de court. Même l'État n'était pas prêt. Il y avait même des informations contradictoires entre les préfectures et le ministère", relève Grégoire Morault, président du Groupe des imprimeries Morault qui compte 200 salariés.

L'Union nationale de l'industrie de l'impression et de la communication (Uniic) avait pourtant bien tenté d'alerter le gouvernement afin d'obtenir un délai supplémentaire.
"Le cas de figure que nous rencontrons cette fois-ci est inédit tant la précipitation déstabilise les imprimeurs, confrontés en outre à une offre papetière contrainte et aux prix qui peuvent en découler, avec un agenda tellement serré qu'il peut nuire à la qualité de la mission confiée aux professionnels graphiques" avait-elle déclaré dans un communiqué, sans effet sur les délais.

Philippe Vanheste, directeur général adjoint du Groupe Prenant qui emploie 400 personnes, est du même avis : "Les imprimeurs n'ont pas été très favorisés, le ministère est parti un peu à l'envers : l'élection est le 30, il faut tant de jours pour la Poste, il faut tant de jours pour les routeurs, donc il reste tant de jours pour les imprimeurs ! Les imprimeurs passant après, c'est ce qui restait."

250 candidats autant de dossiers différents

Grégoire Morault confirme : "Nous avons travaillé dans des conditions hors normes, complètement ubuesques ! Nous avons cette culture d'être réactif, l'expertise et l'expérience de ces moments de rush, mais c'était quand même très, très risqué de travailler dans ces conditions. Ça tutoyait l'irréel parce que c'était presque de l'impression à la demande en rotative."

Il explique : "Nous avons travaillé jour, nuit et week-end entier. C'était très compliqué : avec plus de 250 candidats, chacun avec des problématiques personnelles. Chaque dossier est différent et les  fichiers arrivent en trois fois entre la circulaire, le bulletin, la fiche..." Avec les premiers fichiers reçus vendredi soir, mais le dernier mardi à midi pour livrer à 18 heures !

Les stratégies pour répondre dans les délais

À l'imprimerie Cloitre qui compte une centaine de personnes, la stratégie a été de limiter le nombre de candidats à moins de dix pour ne pas pénaliser les clients habituels et d'être sûr de livrer dans les délais, nous explique Olivier Leborgne, directeur de production de l'entreprise bretonne. Cette élection inattendue a tout de même nécessité des plages horaires de travail élargies. Ainsi samedi, 23 personnes étaient à pied d'œuvre dans l'atelier contre moins d'une dizaine d'ordinaire.

Quant au Groupe Prenant, il a choisi de ne prendre de candidats dont les routeurs étaient à moins 3 heures de route de Vitry. Il a ainsi répondu à la demande de 400 candidats, ce qui représente 85 000 professions de foi et 170 000 bulletins de vote par candidat.

Un sans faute grâce à la mobilisation du personnel

Question consommable, heureusement, les groupes Morault, Prenant comme Cloitre Imprimeurs n'ont pas eu de problème d'approvisionnement en papier grâce principalement à leurs stocks.

"Mais, il fallait des conducteurs et surtout des massicotiers et des personnes au conditionnement, car les élections législatives c'est du A6" souligne Grégoire Morault. Soit une trentaine de personnes en tout.

"Nous aurions pu penser que le plus difficile allait être le côté social, c'est-à-dire de monter des équipes de nuit, le week-end avec des intérimaires, des stagiaires. Mais, nous avons eu des réactions assez enthousiastes, apprécie Philippe Vanheste ! Nous avons tous participé à un moment un peu différent des autres. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle et tout le monde a joué le jeu !"

Le dirigeant des imprimeries Morault ajoute : "Aujourd'hui, on peut dire, on a fait un sans fautes puisque nous n'avons pas eu de retour depuis la livraison mardi soir : tous les candidats ont été livrés en temps et en heure !
Tout ça n'est possible que grâce à la mobilisation du personnel qui a heureusement l'habitude de répondre favorablement à des sollicitations pour travailler plus."

Des conditions de prix inadaptées

Il déplore cependant, comme l'Uniic, que les conditions de prix fixées par le ministère de l'Intérieur aient été celles de 2022 reconduites pour cette élection, alors que "la situation n'est absolument pas la même, ni dans les délais, ni dans l'approvisionnement du papier".

Et souligne que "c'est un scrutin qui est quand même assez biaisé ou tronqué par l'immédiateté de la décision et les délais impartis, car des candidats n'ont pas été en capacité de se présenter."

Et pour le deuxième tour, la vraie problématique, selon le Groupe Prenant, est que "les résultats vont être le dimanche 30 juin à 22 heures et nous allons devoir livrer les routeurs le lundi soir ! Cela veut dire que nous n'avons pas le temps d'imprimer." L'imprimeur a donc choisi de démarrer l'impression entre le jeudi et le vendredi, préalablement à l'élection.

Le métier d'imprimeur et le papier à l'honneur avec ces élections

Si le chiffre d'affaires n'a rien à voir dans les volumes avec une élection européenne ou présidentielle, il apporte un peu de souffle dans un contexte difficile depuis le début de l'année. "Ces 250 candidats représentent 200 tonnes de papier alors qu'une élection présidentielle ou une élection européenne, ça peut être entre 500, 1000 tonnes de papier.

Mais ça ne retire en rien : une fois que tout ça est fini, on est toujours fiers de participer, d'être un acteur de la vie démocratique du pays. Parce que s'il n'y a pas de bulletins de vote, il n'y a pas d'élection !" estime Grégoire Morault.

Pour le Groupe Prenant, cette élection met en valeur le métier d'imprimeur. "Nous avons rarement la parole, et en 30 ans je n'ai jamais eu autant de sollicitation de journalistes ! Cette élection soudaine met en lumière une profession qui, souvent, a peu d'attractivité et peu de visibilité. Donc là, le message est clair : nous sommes satisfaits professionnellement. Le papier reprend un peu ses lettres de noblesse," conclut Philippe Vanheste.

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