Point de vue / Liquidation de Milee (ex-Adrexo) : quand le cadre législatif scelle le sort d'un secteur en crise

Le 9 septembre 2024, la liquidation judiciaire de Milee, ex-Adrexo, géant de la distribution publicitaire, a été prononcée. Après plusieurs vagues de licenciements, l'entreprise n'a pas trouvé de repreneur et met fin à ses activités. 10 000 employés se retrouvent sans emploi, marquant ainsi l'une des plus grandes suppressions de postes en France depuis les années 1980.

Cette fermeture s'inscrit dans une transformation profonde d'un secteur en déclin. Milee, ex-Adrexo, géant français de la distribution publicitaire, a fermé définitivement ses portes. Cette liquidation intervient dans un contexte économique difficile pour l'ensemble de la filière de l'imprimé publicitaire. Face à une conjoncture défavorable, marquée par la montée du numérique et la baisse des volumes imprimés, l'entreprise n'a pas trouvé de repreneur. La fermeture définitive de Milee, ex-Adrexo, marque un tournant pour le secteur de la distribution publicitaire. En seulement un an, l'entreprise a vu ses effectifs passer de 10 000 à zéro.

Baisse des volumes de distribution.

Le secteur de la distribution publicitaire imprimée connaît depuis plusieurs années une baisse structurelle de la demande. Avec l'essor du numérique, les annonceurs se tournent de plus en plus vers des canaux digitaux, plus économiques et offrant une portée plus précise. Entre 2019 et 2023, le volume d'imprimés publicitaires a chuté de près de moitié, passant de 10,4 à 5,7 milliards d'exemplaires distribués. Cette transition s'est accélérée avec les effets de la crise sanitaire de 2020 et l'adoption massive des technologies numériques, affectant directement les entreprises autrefois dépendantes de la distribution physique.

Les imprimés publicitaires non adressés, qui représentent un chiffre d'affaires de 348 millions d'euros et 2 % des recettes média en 2023 (source BUMP), demeurent un levier particulièrement efficace pour les campagnes locales, générant du trafic en magasin. Selon une étude Balmétrie réalisée par IPSOS, 68 % des Français ont consulté au moins un imprimé publicitaire au cours des huit derniers jours. Ce support permet à 85 % des lecteurs d'accéder aux informations sur les promotions et les soldes, et incite 63 % d'entre eux à se rendre directement en magasin.

Le cadre législatif : des embûches insurmontables

La fermeture de Milee est en grande partie le résultat de décisions politiques et réglementaires qui ont fragilisé le secteur de la distribution d'imprimés publicitaires. Parmi ces facteurs, la taxe Citeo, issue du principe de « pollueur-payeur », a particulièrement pesé sur les annonceurs. En France, les entreprises qui utilisent des imprimés publicitaires doivent s'acquitter d'une contribution destinée à financer le recyclage et la gestion des déchets. Cette Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), bien que justifiée par des préoccupations écologiques, a ajouté un fardeau financier à une industrie déjà en crise.

L'impact environnemental de la distribution de prospectus publicitaires est de plus en plus critiqué. Les initiatives comme la Convention citoyenne pour le climat, qui a voté le dispositif "Oui Pub", limitant la distribution non sollicitée, sont actuellement en phase de test dans plusieurs régions. Ces mesures visent à réduire les déchets générés par les imprimés, mais elles ont aussi considérablement diminué le volume d'activité. L'évolution des réglementations environnementales pose ainsi un défi majeur à un modèle économique déjà fragilisé. Lire nos articles sur le Oui-Pub.

Inflation, coût des matières premières et crise des transporteurs.

La liquidation de Milee ne peut être dissociée du contexte économique global. Depuis 2022, le secteur a été frappé par une hausse des coûts, en particulier celui des matières premières comme le papier, dont le prix a fortement augmenté en raison de la crise de l'énergie et des tensions géopolitiques. Parallèlement, l'inflation a pesé sur les marges des entreprises de distribution, tandis que les coûts de transport n'ont cessé de croître, fragilisant davantage les prestataires logistiques. Milee, déjà en difficulté, n'a pas su compenser ces hausses avec une stratégie d'adaptation suffisante.

Une gestion qui n'a pas su s'adapter aux nouvelles réalités.

Malgré un modèle économique remis en question, Milee n'a pas pris les mesures nécessaires pour anticiper la transformation du marché. Le manque d'investissements dans les outils numériques et la diversification de l'activité a précipité la chute de l'entreprise. En dépit des difficultés, l'entreprise a continué à miser sur la distribution physique, sans véritablement intégrer les innovations nécessaires pour se repositionner face à une demande en pleine mutation. Cette absence de stratégie d'adaptation aux nouvelles réalités économiques a été un facteur clé de la liquidation.

La perte des principaux clients et un environnement concurrentiel intense.

Un autre facteur ayant précipité la liquidation de Milee est la perte de clients majeurs. Des enseignes telles que Cora et E. Leclerc, qui représentaient une part importante de son chiffre d'affaires, ont cessé de recourir à ses services en début d'année 2024. Cette hémorragie de clients n'a fait qu'aggraver les difficultés de l'entreprise, qui se voyait déjà concurrencée par La Poste via sa filiale Mediaposte. Avec une concurrence accrue dans un secteur en contraction, les marges se sont érodées, laissant peu de place à un redressement.

Un licenciement de 10 000 employés, sans solution de reprise.

La liquidation de Milee est l'une des plus importantes suppressions de postes en France depuis les années 1980. L'entreprise, en redressement judiciaire depuis mai 2024, n'a pas trouvé de repreneur viable, laissant 5 000 salariés supplémentaires sans emploi en septembre 2024. Le tribunal de commerce de Marseille a jugé qu'aucune solution de reprise n'était économiquement viable, condamnant ainsi définitivement l'entreprise.

Milee employait un grand nombre de travailleurs précaires, dont une part importante de retraités et d'employés à temps partiel dans des conditions de travail étaient difficiles : longues distances à parcourir à pied ou en voiture, rémunération au SMIC horaire, et frais de déplacement minimums. Ces conditions ont contribué à l'instabilité des employés, accentuant leur vulnérabilité face à la fermeture soudaine de l'entreprise.

Une offre de reprise jugée non viable.

Le consortium formé par Diffusion Plus, Paragon et Riccobono avait pourtant tenté de sauver Milee en déposant une offre de reprise. Les trois groupes, opérant dans l'impression et le routage, souhaitaient éviter que La Poste, via sa filiale Mediaposte, ne devienne un monopole sur le marché de la distribution publicitaire. Leur plan prévoyait une reprise partielle des activités de Milee, avec une couverture du territoire réduite de 60 à 50 % dans un premier temps, et la réouverture progressive de 60 agences. Jusqu'à 2 200 salariés auraient pu être réemployés, faisant de ce projet l'une des plus grandes opérations de reprise du secteur en France. Cependant, malgré l'ambition de cette offre, le tribunal de commerce a jugé qu'elle manquait de viabilité financière.

Il serait illusoire de déplorer la fermeture d'une entreprise lorsque l'ensemble des dispositions prises a contribué à rendre son modèle économique caduc. Ce ne sont pas uniquement les erreurs de gestion qui ont conduit à la liquidation de Milee, mais bien des choix politiques et réglementaires qui ont façonné son déclin inéluctable. Ces décisions envoient un signal sans équivoque : les entreprises doivent impérativement s'adapter aux nouvelles exigences économiques et écologiques sous peine de disparaître.

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