Projets européens de dématérialisation : la notice papier des médicaments menacée de disparition

L'annonce d'un projet européen visant à supprimer les notices imprimées des médicaments a ouvert un débat technique, réglementaire et industriel d'envergure. À l'heure où Bruxelles pousse à la numérisation complète de l'information médicale, ce basculement menace de rebattre les cartes pour les acteurs de l'impression, du façonnage et du conditionnement pharmaceutique.

L'Union européenne envisage de supprimer les notices papier des médicaments au profit d'un accès via QR code. Cette réforme qui doit simplifier et permettre l'actualisation de l'information médicale suscite de fortes inquiétudes en matière d'accessibilité et de souveraineté industrielle. Ce changement soulève des enjeux majeurs pour la filière de l'impression pharmaceutique.

L'impression pharmaceutique face à la suppression des notices

En effet, l'impression des notices constitue une activité spécialisée, encadrée par des normes strictes (BPF, ISO 15378, ISO 9001) et fortement automatisée. Il ne s'agit pas d'un feuillet imprimé et plié, mais d'un produit hautement normé qui mobilise un savoir-faire technique impliquant la maîtrise du faible grammage du support, de la lisibilité et d'un pliage complexe.

La réduction ou suppression de cette prestation impacterait directement les imprimeurs spécialisés dans l'impression de ces notices sur papier fin et entraînerait une reconfiguration complète de la chaîne de valeur.

Le QR code, nouvelle norme d'accès à l'information médicale ?

Dans ce projet, la notice imprimée serait remplacée par un QR code inscrit sur l'emballage. Le QR code offre des possibilités d'actualisation en temps réel, de traduction multilingue et d'accessibilité (comme des versions audio). Cependant, son intégration sur les boîtes impose de recréer le design packaging, une nouvelle organisation des flux de données et une gestion du lien numérique sécurisé.

Pour les fabricants d'emballages et imprimeurs, cela signifie une montée en compétence vers des outils d'impression numérique à données variables, une gestion des liens dynamiques et une compatibilité avec les infrastructures IT des laboratoires pharmaceutiques. Le QR code ne peut être intégré que dans le cadre d'une sécurisation des données de santé, avec chiffrement et hébergement conforme.

À partir du 1er octobre prochain et dans le cadre d'une expérimentation sous la supervision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les emballages de 93 médicaments de ville et de plus de 400 médicaments à usage hospitalier afficheront un QR code directement sur les boîtes. Dans le secteur hospitalier, la notice papier devrait être totalement supprimée.

Une fracture numérique incompatible avec l'accès universel à l'information

Ce changement permettra une information plus fluide, assure l'Union européenne. Mais les associations d'usagers dénoncent, elles, les risques d'exclusion. Pour de nombreux patients - notamment les personnes âgées ou vivant dans des zones mal couvertes - l'accès à l'information médicale via un QR code qui nécessite une connexion internet reste une barrière technologique.

Dans une lettre ouverte publiée le 11 avril dernier, adressée au ministre de la Santé et au ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, l'association UFC-Que Choisir alerte sur ce risque. Elle y affirme que "la notice papier, insérée dans chaque boîte de médicament, est à ce jour le support d'information le plus accessible" et demande son maintien "sans exception ni logique de substitution progressive". Cette démarche s'inscrit dans un contexte de mobilisation plus large des associations de consommateurs et d'usagers du système de santé, également relayée à l'échelle européenne par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et le Forum européen des patients.

De même, France Assos Santé a rendu publique une note d'information le 13 mars, dans laquelle elle reconnaît les bénéfices des notices numériques (comme les mises à jour rapides, l'accessibilité multilingue ou les formats adaptés aux malvoyants), tout en s'opposant fermement à leur généralisation exclusive. L'organisation qui représente les patients et les usagers du système de santé demande aux parlementaires européens et aux autorités françaises de "défendre la complémentarité de la notice dématérialisée par rapport à la version papier, en excluant tout remplacement à court ou moyen terme".

Outre les enjeux d'accessibilité, l'association pointe également un risque en matière de protection de la vie privée : l'accès en ligne à ces notices pourrait "fournir des informations sensibles sur l'état de santé des patients" à des tiers non autorisés. Ces craintes posent la question de la souveraineté des données et des responsabilités des acteurs dans un système numérisé.

Une remise en cause de l'équilibre économique des sous-traitants

Le volume des notices représente, pour certains imprimeurs spécialisés, une part significative de leur chiffre d'affaires. La baisse de ce volume, sans compensation industrielle immédiate (transfert vers du packaging interactif ou d'autres segments de production), pourrait affecter des sites déjà fragilisés par la pression tarifaire du secteur pharmaceutique.

Les adaptations nécessaires - impression à données variables, solutions d'authentification numérique, développement de packaging intelligent - nécessitent des investissements techniques élevés pour des marges faibles. Sans accompagnement de la filière ou co-développement avec les laboratoires, la transition pourrait engendrer des disparitions d'acteurs historiques.

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